Michel Richard dit Sansoucy

Un pionnier de l’histoire acadienne

Le bassin de Port-Royal, d’après Marc Lescarbot – 1609
Extrait de l’Histoire de la Nouvelle-France, par Marc Lescarbot – Source: Lauvrière, Émile,
La tragédie d’un peuple Librairie Plon, Paris, 1924, 507 p.

Le bassin de Port-Royal , aujourd’hui
(extrait de MapQuest.com)

 

À propos de l’auteur

 

Membre du conseil d’administration de l’Association des familles Richard, je suis descendant de Michel Richard dit Sansoucy à la onzième génération. Passionné de l’histoire de mon patronyme, je tente ici de relater le cadre de vie et le contexte historique de notre aïeul Michel Richard dit Sansoucy, l’ancêtre premier débarqué en 1654 à Port-Royal, Acadie. Mes ambitions seraient d’écrire une bulle d’histoire propre à chaque génération.

 

Denis Richard (11ième génération)
Décembre 1999

 

Michel Richard dit Sansoucy

 

Un laboureur prospère

En 1671, soit dix sept ans après son arrivée en Acadie, Michel Richard dit Sansoucy était bien enraciné dans le nouveau monde et s’était taillé un patrimoine fort enviable pour cette époque. En effet, selon les « Rôles1 des familles de l’Acadie » fait par le Sr Randin, envoyé à Monseigneur Colbert de Québec le 8 novembre 1671, on lit … « Laboureur – MICHEL RICHARD aagé de 41 ans, sa femme Magdeleine Blanchard aagée de 28 ans Leurs enfans 7, René aagé de 14 ans, Pierre 10 ans, Catherine 8, Martin 6, Alexandre 3, deux besonne Anne et Madgeleine aagée de cinq semaines, Leurs bestes a Cornes 15 et 14 brebis, Leurs terres Labourables et en valeur en deux places 14 arpans« .

En 1671, la richesse collective des acadiens cumulait 829 bêtes à corne, 399 moutons et 417 arpents de terres labourables.

Ses origines                                                            

Les parents de Michel restent pour l’instant inconnus.

Son lieu d’origine est inconnu également, probablement de la  Charente Maritime, en France près de La Rochelle qui était la porte de la quasi-totalité des départs pour l’Acadie.

Cependant, Guy Perron3 qui a rédigé l’histoire généalogique de François Peron (1615 – 1665), marchand-engagiste, bourgeois et avitailleur de La Rochelle, précise que, à partir de 1580, les Peron ont été associés à une famille Richard pendant plus de 50 ans. Dès 1642, François Peron pratique4 le « négoce et traffic de marchandises » avec d’autres marchands de la région. En 1655, il se lance en affaires où il rencontre tous les aléas que comporte le commerce avec les colonies (principalement la Nouvelle France).

Michel Richard dit Sansoucy aurait-il été informé par la tradition familiale des Peron ? Il me semble y avoir là une piste à explorer.


1Le texte original est aux Archives Nationales de Paris
2Bona Arsenault, 1978 – Histoire et généalogie des Acadiens, p. 753
3Guy Perron, 1998 –François Peron (1615 – 1665) – Marchand-engagiste bourgeois et avitailleur de la Rochelle,
4Guy Peron, 1998, p. 4.

 

Son arrivée

Parti de La Rochelle5, Michel Richard dit Sansoucy, la-boureur6, débarque à 24 ans vers la fin du mois de mai 1654 à Port-Royal, Acadie. Michel avait traversé l’Atlantique en compagnie de Pierre Thibodeau, meunier, sur le Châteaufort, navire armé en guerre et affrété le 25 mars 1654 au départ de La Rochelle par Emmanuel Le Borgne de Belle-Isle7. La durée de la traversée a donc été d’environ 60 jours8. Le Châteaufort, navire de 300 tonneaux commandé par le Sieur Guilbeault, était chargé d’une cargaison de marchandises évaluée à 75 000 livres (15 000$). Les conditions d’engagement de Michel Richard ne nous sont pas connues. Toutefois, selon les descendants9 de son compagnon de voyage Pierre Thibodeau, ce dernier aurait déclaré lors de son engagement avoir 23 ans et Le Borgne lui aurait versé une avance de 30 livres tournois avant le départ de La Rochelle. L’aller et le retour étant payés, Pierre s’engageait pour trois ans moyennant 80 livres tournois (16$) par année. Je suppose que des conditions équivalentes pourraient aussi s’appliquer à Michel Richard dit Sansoucy.

Éditions du Subrécargue, p. 42
5Voir http://212.198.5.37:8060/@se_386eecb7/Pages/Visu.html?d=17&format=2&chg=946794297 – La France d’Autrefois – Charente Maritime
6Léopold Lanctôt, 1988 – L’Acadie des origines (1603 – 1771), Éditions du Fleuve, p. 53.
7Voir le site http://personal.nbnet.nb.ca/yoyo/text-51.htm
8Pour en savoir plus sur les conditions de la traversée, on consultera l’excellent article de Claude Faribault, Automne 1992 – La traversée de nos ancêtres vers 1660 – Voyage à travers l’Atlantique-Nord, publié dans les mémoires de la Société Généalogique canadienne-française, Vol 43, no 3, p. 198 à 208.
9Voir http://www.qouest.net/~jljmt/tib1154a.htm

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Sa terre d’acceuil

Michel Richard débarque à Port-Royal, en Acadie, un pays jeune, ouvert au développement colonial depuis 1603.

Dans ce pays neuf, l’agriculture10, la pêche à la morue11 et la traite des fourrures12 constituaient les principales activités économiques. Au-delà de leur caractère commercial, ces activités supportaient la vie même de ces colons nouvellement débarqués.

La figure ci-contre montre l’occupation13 des rives à une date ultérieure à celle de son décès.

4.1 La population

En 1654, Port-Royal, Acadie, était habité par quelques centaines d’habitants14 car il y avait environ quatre cents âmes en chiffres ronds, d’après le recensement15 de 1671. On y trouvait un chirurgien, deux armuriers, un maçon, un tisserand, quatre tonneliers, un petit nombre d’autres artisans. Cependant, le recensement négligea les colons de Pentagouet et de la rivière Saint-Jean en Acadie Occidentale. On peut estimer que la population totale de l’Acadie s’élevait alors à environ 500 personnes16.Pour 500 habitants en Acadie, la Nouvelle-Angleterre en comptait déjà 73 000. Un Acadien devait donc, en principe, faire face à 150 Bostoniens17.

Entre le début de l’année 1686 et le 15 octobre 1687, Monsieur de Meulles, intendant de la Nouvelle-France, ordonna la tenue d’un recensement général de l’Acadie18. Ainsi, à Port-Royal, Acadie, il y avait 95 familles composées de 197 adultes et 395 enfants (218 garçons et 177 filles) pour un total de 592 individus

10 Voir http://personal.nbnet.nb.ca/yoyo/TEXT-100.HTM – Renseignements détaillés à cette adresse.
11 Voir http://personal.nbnet.nb.ca/yoyo/TEXT-101.HTM – Renseignements détaillés à cette adresse.
12 Voir http://personal.nbnet.nb.ca/yoyo/Text-107.htm – Renseignements détaillés à cette adresse.
13 Carte dessinée par Maurice Thibaudeau d’après l’ouvrage de Léopold Lanctôt, Familles Acadiennes tome I, page 88.
14 Voir http://personal.nbnet.nb.ca/yoyo/TEXT-104.HTM
15 Voir http://perso.wanadoo.fr/froux/divers/r1671.htm – Détail du recensement de 1671

16Sauvageau, Robert, 1987 – Acadie, La guerre de cent ans des Français d’Amérique aux Maritimes et en Louisiane – 1670 – 1769, Berger Levraut, p. 15.
17Sauvageau, Robert, 1987 – Acadie, La guerre de cent ans des Français d’Amérique aux Maritimes et en Louisiane – 1670 – 1769, Berger Levraut, p. 16.
18http://www.qouest.net/~jljmt/rec1686.htm – Recensement de 1686

4.2 L’occupation des sols

La plupart des habitants étaient des cultivateurs, établis le long des rivières. Leurs propriétés étaient de longs rectangles perpendiculaires aux cours d’eau, comme les propriétés québécoises perpendiculaires au Saint-Laurent. Ces concessions19 étaient de longues bandes étroites de terrain ; mesurant deux arpents (192 pieds) de front le long de la rivière Dauphin20 et s’étendant sur une distance de trente arpents vers l’intérieur des terres, jusque dans la forêt vierge. Au début, les Acadiens cultivaient surtout du blé, de l’avoine, du seigle, du foin, du chanvre et du lin dans les terres basses formées d’alluvions apportées par la rivière.

Avec le temps, chaque colon avait défriché un morceau de terre près de sa maison, bâtie sur des terres plus hautes, hors d’atteinte des grandes marées. Selon Dièreville, Voyage en Acadie, ce voyageur écrivait … « Sauf les asperges et les artichauts, ils ont toutes sortes de légumes, et tous excellents; ils ont des champs couverts de choux pommés et de navets, qu’ils conservent toute l’année; ils mettent les navets à la cave; ils sont moëlleux et sucrés, et beaucoup meilleurs qu’en France; ils les mangent comme des marrons, cuits dans les cendres. Les choux restent dans les champs, la tête renversée, et la neige les couvre qui les conserve. On fait de plantureuses soupes avec ces deux légumes et de grosses pièces de lard; ils font surtout beaucoup de choux, car les cochons en mangent les débris, et c’est leur unique nourriture pendant l’hiver ».

Derrière la maison21, s’étendait un verger de pommiers, de poiriers, de cerisiers et d’autres arbres fruitiers que l’on avait apportés de France.

19Lanctôt, Léopold, 1988 – L’Acadie des origines (1603 – 1771), p. 62.
20La rivière Dauphin a été désignée par Lescarbot en 1609 dont la carte est publiée dans: Lauvrière, Émile, La tragédie d’un peuple  Librairie Plon, Paris, 1924, 507 p. Cette même rivière était désignée comme étant la Rivière Port-Royal par Nicolas Belin – 1742 voir la carte « Dressée sur les Manuscrits du Dépost des Cartes et Plans de la Marine » Source: Lauvrière, Émile, Brève histoire tragique du peuple acadien Librairie D’Amérique et d’Orient, Paris, 1947, 206 p.
21Lanctôt, Léopold, 1988 – L’Acadie des origines (1603 – 1771), p. 62.

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4.3 Les Aboiteaux – un mode de culture unique en Amérique

Les colons échelonnés sur la rivière de Port-Royal (aujourd’hui, la rivière Annapolis) formaient à cette époque le seul établissement agricole en Acadie. Plutôt que de déboiser les terres hautes pour en faire des terres cultivables, les Acadiens se servirent de l’expérience que certains avaient dans l’assèchement des marais pour établir un système agricole tout à fait original.Ces colons, défricheurs d’eau, asséchaient les marais autour de Port-Royal (environs 5000 âcres) et réclamaient à la mer, par la construction de digues ou aboiteaux, des terres constituées d’alluvions fertiles22. La figure ci-contre montre en profil un aboiteau23 typique. En bâtissant des aboiteaux (système de digues et canaux de drainage), du nom du canal de bois qui servait à l’écoulement des eaux au travers des digues, les défricheurs d’eau acadiens réclamèrent à la mer des terres basses très riches qui donnaient de hauts rendements agricoles. Les digues empêchaient l’inondation des marais et les aboiteaux autorisaient le drainage des hautes terres. D’une hauteur de six à huit pieds et d’une largeur de huit pieds les aboiteaux pouvaient protéger les terres alluviales des marées qui, dans la Baie française, pouvaient atteindre plus de 50 pieds.

Dans l’ensemble, les caractéristiques pédologiques des marais étaient favorables à la production agricole. Les surfaces planes et l’humidité naturelle du sol favorisaient une croissance végétale au-dessus de la moyenne24. »Les habitants, qui ont multiplié à Port-Royal, constate (Nicolas) Denys, récoltent beaucoup de froment et ont un grand nombre de vaches et de porcs25 « 

 

Un visiteur français du 18e siècle, le sieur de Dièreville26 nous a laissé une description du mode de construction des aboiteaux :

 » Ils plantent cinq ou six rangs de gros arbres tout entiers aux endroits ou la mer entre dans les marais, et entre chaque rang ils couchent d’autres arbres le long les uns des autres et garnissent tous les vides si bien avec de la terre glaise bien battue, que l’eau n’y scauroit passer. Ils ajustent au milieu de ces ouvrages un esseau [canal] de manière qu’il permet à la marée basse, à l’eau des marais de s’écouler par son impulsion, et défend à celle de la mer d’y entrer « 

Selon Daigle27, … »La construction d’un aboiteau à cause de la technologie de l’époque nécessitait la mise en oeuvre d’une grande quantité de main-d’oeuvre ainsi que la prise de décisions par certains individus chargés de mener à bien l’entreprise. Une fois terminé, il fallait assurer une surveillance constante contre les ravages de la mer. Le système de construction d’aboiteau et de culture des terres alluvionnaires créa un état d’interdépendance et un esprit communautaire qui forgèrent l’âme acadienne et resserrèrent plus étroitement les liens existants ». Le portrait ci-contre est un tableau28 de Azor Vienneau – Musée de la Nouvelle-Écosse

 

« Ce type d’agriculture ne fut en aucune façon implanté ou subventionné par la métropole [France]. L’emploi de la digue fut l’apport des Acadiens à un problème local. La construction, l’entretien ainsi que le choix d’une technologie appropriée témoignent de la part de la population d’une autonomie décisionnelle encouragée par la faiblesse des institutions traditionnelles. Prenant de plus en plus de distance vis-à-vis les autorités, les Acadiens furent les seuls responsables de l’établissement de ce mode de culture unique en Amérique ».

Les paysans y connaissaient une prospérité très supérieure à celle de leurs cousins demeurés dans leur région d’origine. En outre, ils avaient l’avantage d’être pratiquement affranchis de la plupart des servitudes féodales en usage dans le royaume de France. Ne refusèrent-ils pas de payer la dîme, lorsque l’évêque de Québec voulut les y asservir29 ?

Michel dut collaborer tout comme les autres colons aux efforts de construction, d’entretien et de maintenance des aboiteaux au nom des intérêts collectifs et de ses propres intérêts. Le recensement mentionne que Michel a des terres en deux places. En effet, les Acadiens, même si le recensement ne le mentionne pas toujours30, cultivaient presque tous deux endroits différents sur leur terre. Les terres basses, récupérées sur la mer, où ils semaient du blé, du mil, de l’avoine, de l’orge, etc., et les terres hautes, près de leur habitation, où ils cultivaient des légumes et où ils avaient planté des arbres fruitiers.

22Jean Daigle, 1980, p. 22.
23Voir http://collections.ic.gc.ca/acadian/francais/fb41755/dykes/dykes.htm – Détail sur les digues.
24Jean Daigle, 1980, p. 106.
25Extrait de l’ouvrage de Émile Lauvrière, La Tragédie d’un peuple, Histoire du peuple acadie de ses origines à nos jours, Librairie Plon, Paris, 1924, p.81
26Dièreville, Relation du Port Royal, p. 77.
27Jean Daigle, 1975 – Nos amis les ennemis : RELATIONS COMMERCIALES DE L’ACADIE AVEC LE MASSACHUSETTS, 1670-1711, University Microfilms International, AnnArbor, Michigan, 1975, p. 65-66.
28Extrait de http://collections.ic.gc.ca/acadian/francais/fb41755/dykes/dykes.htm – Les digues
29Robert Sauvageau, 1987 – Acadie 1670 – 1769, p. 42 et 43.
30Léopold Lanctôt, 1994 – Familles acadiennes, Tome I, p. 62.

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4.4 Legs des autochtones

Chaque famille possédait un ou plusieurs canots d’écorce, héritage des peuples autochtones : les Micmacs et les Malécites, d’origine algonquine. Le territoire des Micmacs s’étendait de la Gaspésie au Cap-Breton, en passant par la côte est du Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard. Le territoire de la nation Malécite se trouvait essentiellement à l’ouest de la rivière Saint-Jean.

L’extrémité des concessions acadiennes s’enfonçait dans la forêt, où poussaient les chênes, les hêtres, les conifères de diverses espèces et surtout les érables. Les Micmacs leur avaient appris31 à entailler les érables au printemps et à en faire bouillir la sève pour en fabriquer du sirop d’érable (qui était inconnu en Europe). Toujours selon Dièreville, Voyage en Acadie, il écrivait … »Ils faisoient même, des sommités des sapins, du levain et de la mélasse, une sorte de bière qui n’est mauvaise. Mais leur boisson la plus ordinaire est l’eau ». Il s’agit de la « petite bière d’épinette » dont ils avaient dû apprendre la fabrication des Micmacs. Durant l’hiver, les Acadiens, pour la plupart, font la chasse aux bêtes sauvages, dans les hauts de leurs terres, surtout pour leur fourrure. Ils accompagnent les Indiens dans les bois, qui en plus de leur enseigner l’art de la chasse, leur apprennent à cueillir les plantes et les racines dont ils feront des remèdes.

4.5 L’éducation

Depuis 1644, l’éducation32 était assurée par douze Pères Capucins à Port-Royal. Cependant en 1654,Sedgewick, major général de la milice du Massachusetts, attaque et prend l’Acadie. Cette force militaire tua un Père Capucin33 et chassa les autres. En 1676, L’abbé Petit, le premier prêtre à établir un ministère permanent en Acadie, fonda la première école acadienne à Port-Royal.

4.6 Les habitations

En 1685, à Beaubassin, Robert Rumilly34 décrit les habitations comme suit … « ces maisons sont en bois, seul matériau à portée de main, équarri à la hache, pièce sur pièces. Le toit est couvert de bardeaux en sapin, faits à la main. Des chevilles en bois remplacent les clous, rares et chers; les gonds de porte eux-mêmes sont en bois. Une table à manger, des bancs, rarement des chaises rustiques et deux, trois ou quatre coffres constituent l’ameublement. Suspendus au mur, le mousquet et la corne à poudre. Sur un châssis, des coches où le soleil marque les heures ».

Quant à Menneval, 1688, il observe que … »le Port-Royal est un lieu qui n’a presque pas de forme, et quoiqu’il soit composé d’environ vingt méchantes maisons de boue et de bois, il n’y a cependant que six habitants, le reste étant dispersé dans l’espace de six ou sept lieues le long de la rivière« .

31Lanctôt, Léopold, 1988 – L’Acadie des origines (1603 – 1771), p. 63.
32Voir http://personal.nbnet.nb.ca/yoyo/TEXT-103.HTM
33Voir http://etoile.acadie.net/hier.htm
34Extrait de l’ouvrage de Robert Rumilly, L’Acadie française, 1497 à 1713, Éditions Fides, Mon
tréal, 1981, p.132

Le contexte politique

5.1 Gouvernement français

Au moment du débarquement de Michel Richard, le cadre politique supportant le développement de cette petite collectivité était confus. En effet, le Cardinal Richelieu, ministre du Roi de France, avait nommé, en 1632, son cousin Isaac de Razilly, lieutenant général de l’Acadie. Mais entre temps, le Roi, lui-même, avait nommé également Charles Latour, lieutenant général de l’Acadie. Razilly décéda en 1635 et son cousin Charles de Menou d’Aulnay lui succéda. Donc, en 1654, il y avait deux lieutenants ou gouverneurs en titre d’un seul et même territoire, tous deux animés par un même objectif : le contrôle du commerce, de la pêche et des fourrures.

À cette querelle de titres, s’ajoutait Nicholas Denys, entrepreneur français intéressé à la pêche et le commerce du bois35. Le moteur de l’histoire est toujours le même et la figure ci-contre montre les territoires occupés par les antagonistes.

Ainsi, à l’été 1654, Le Borgne et Guilbeault, principaux créanciers de feu Sieur Charles D’Aulnay (un lieutenant général en titre parmi deux, décédé par noyade le 24 août 1650), venaient à Port-Royal, Acadie, pour faire valoir leurs droits sur les biens de la succession de Sieur Menou d’Aulnay. À leur arrivée, Leborgne et Guilbeault s’emparèrent de plusieurs établissements et prirent possession la même année, de Port-Royal. Du même coup, ils s’attaquèrent à Charles La Tour, autre lieutenant désigné et Nicholas Denys, entrepreneur français.

Michel était-il au fait de cette trame historique ?

35Jean Daible, 1980 – Les Acadiens des maritimes : Études thématiques, Moncton, Centre d’Études acadiennes, p. 23.

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5.2 Gouvernement anglais

Les querelles de clochers entre Latour, Leborgne et Nicholas Denys ont été de courte durée car le 16 août 1654, soit 2 mois et demi après l’arrivée de Michel, la colonie capitula devant le Major Robert Sedgewick et son expédition de 4 navires regroupant 500 hommes36. L’histoire rapporte que Le Borgne, disposa un détachement entre la côte et le fort pour harceler le débarquement de l’ennemi et ainsi retarder l’assaut du fort dont la garnison était peu nombreuse. On pourrait supposer que Michel fut un des soldats ou à tout le moins un des engagés qui prêta main forte aux défenseurs de Port-Royal.

L’histoire rapporte que … »Robert Segewick37, major général de la milice du Massachusett, décida d’attaquer l’Acadie sans en avoir reçu l’ordre de quiconque. Sedgwick devait à l’origine combattre les Hollandais installés à New Amsterdam (New York) lorsque la guerre pris fin entre la Hollande et l’Angleterre. Frustré dans ses projets, Sedgwick eut l’idée de profiter de l’occasion pour régler le compte des Français en Acadie et ce, même si l’Angleterre et la France était en paix.

Il obtint d’abord la rédition de Latour sur la rivière Saint-Jean, pour ensuite se tourner vers Port-Royal où il ne reçut que peu de résistance de la part de Le Borgne. Ce dernier fut envoyé en France avec ses hommes, tandis que Latour était envoyé en Angleterre. Sedwick laissa une garnison sur place et reparti vers Boston où il reçut un accueil triomphant. Malgré tout, les autorités lui reprochèrent d’avoir outrepassé ses pouvoirs.

Il n’en demeure pas moins que l’Acadie venait de passer aux mains des Anglais qui nommeront Thomas Temple à titre de gouverneur de l’Acadie en 1662″.

36Voir http://personal.nbnet.nb.ca/yoyo/1654.htm
37Voir http://personal.nbnet.nb.ca/yoyo/Text-74.htm

 

5.3 Retour des autorités françaises

En 1667, le traité de Bréda38 restitue l’Acadie à la France. Cependant, les Anglais en retardèrent la restitution effective jusqu’en 1670. À ce moment, Leborgne est confirmé dans ses fonctions et nomme son fils, Alexandre, gouverneur et lieutenant général du Roi en Acadie.

En 1670, Louis XIV nomme Hector D’Andigné39, Sieur de Grand Fontaine, gouverneur de l’Acadie, alors que Le Borgne fils devient seigneur de Port-Royal. Ce gouverneur arriva le 17 juillet 1670 sur le navire français le « Saint-Sébastien » à Pentagouet (de nos jours, dans l’État américain du Maine)40. Ce bâtiment portait à son bord, outre l’équipage, cinquante soldats français, soit une compagnie du régiment de Carignan. Avec eux trois officiers : le chef du détachement, le capitaine Andigné de Grand Fontaine, un lieutenant, Joybert de Soulanges, et un enseigne, d’Abbadie de Saint-Castin, l’un des chefs les plus valeureux des futures luttes d’Amérique41.

De 1654 à 1670, les Acadiens incluant notre Michel ne connurent pratiquement pas la France. Ils fréquentèrent plus souvent les Anglais que les Français et vinrent à considérer cette coexistence avec les Anglais comme une partie essentielle de leur vie en Amérique. Un élément du caractère acadien prit naissance au cours de cette période soit leur esprit d’accommodation avec la puissance anglaise.

Malgré tout, la spécificité culturelle acadienne semblait s’affirmer car l’Abbé Petit écrivait vers 1676 que … « L’Habitation de Port-royal est composée d’environ quatre-vingt familles qui font pour le moins six cents âmes, gens d’un naturel doux et portés à la piété ; on ne voit parmi eux ni jurements, ni débauches de femmes, ni ivrognerie. Quoiqu’ils soient dispersés jusqu’à quatre et cinq lieues sur la rivière, ils viennent en foule à l’église les dimanches et les fêtes, et ils y fréquentent assez les sacrements. Dieu me garde d’attribuer leur piété à mes petits soins ; je les ai trouvés sur pied-là quand je suis venu ici ; et cependant, il y a quinze ou seize ans qu’ils étaient sans prêtres, sous la domination des anglais ».

 

Au cours de sa vie en Acadie, Michel aura vécu sous la direction de six gouverneurs acadiens42 dont Emmanuel Le Borgne de Belle-Isle (1657 à 1670) ; Hector de Grandfontaine (1670 à 1673) ; Jacques de Chambly (1673 à 1678) ; Michel de Vallière (1678 à 1684) ; François Marie Perot (1684 à 1687) ; Louis-Alexandre des Friches, Sieur de Meneval (1687 à 1690).

38Voir http://personal.nbnet.nb.ca/yoyo/1667.htm
39Voir http://personal.nbnet.nb.ca/yoyo/1670.htm
40Sauvageau, Robert, 1987 – Acadie, La guerre de cent ans des Français d’Amérique aux Maritimes et en Louisiane – 1670 –    1769, Berger Levraut, p. 13

41Sauvageau, Robert, 1987 – Acadie, La guerre de cent ans des Français d’Amérique aux Maritimes et en Louisiane – 1670 – 1769, Berger Levraut, p. 17
42Voir http://personal.nbnet.nb.ca/yoyo/Text-75.htm

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Sa destinée

6.1 Union avec Magdelaine Blanchard

Vers 1655, Michel unit son destin avec celui de Magdelaine Blanchard à Port-Royal. De cette union43, naîtront tous à Port-Royal :

  1. René, Sieur de Beaupré, vers 1657 et marié vers 1679 à Madeleine Landry ;
  2. Pierre, vers 1660  et marié vers 1686 à Marguerite Landry, sœur de Madeleine ;
  3. Catherine, vers 1663 et mariée vers 1678 à François Broussard ;
  4. Martin, vers 1668 et marié vers 1691 à Marguerite Bourg ;
  5. Alexandre, l’aîné, vers 1668 et marié vers 1690 à Élizabeth Petitpas ;
  6. Madeleine (jumelle), vers 1671 et mariée vers 1686 à Charles Babin ;
  7. Anne (Jumelle), vers 1671 et mariée vers 1686 à Germain Thériot ;
  8. Marie-Josephe, vers 1672 et mariée vers 1689 à Michel Vincent ;
  9. Cécile, vers 1676 et mariée vers 1692 à Pierre Forest ;
  10. Marguerite, vers 1679 et mariée vers 1698 à Jean Leblanc.

En 1679, Michel, âgé de 49 ans, perdit son épouse Magdelaine Blanchard, âgée de 37 ans seulement, probablement victime de l’accouchement de Marguerite, dixième enfant de cette union. Suite au décès de son épouse, Michel dut assurer, à l’exception de René, Sieur de Beaupré qui s’était marié aussi vers 1679, l’éducation familiale de ses neuf autres enfants dont les âges variaient de 0 à 17 ans.

Magdeleine Blanchard était issue des vieilles familles souches fondatrices de l’Acadie dont les Blanchard et Lambert. En effet, Jehan Blanchard, père de Magdelaine était né44 à La Chaussé, au Loudunois, France en 1611. Il vient à Port-Royal avec ses parents en 1641. L’année même de son arrivée, il épouse, à Port-Royal, Radegonde Lambert, fille de Jean Lambert et, probablement, d’une indienne Micmac. Suite à cette union, Radegonde serait née en 1629. Son père, Jehan Lambert était déjà à Port-Royal en 1612 ; le 13 mars 1612, il est mentionné comme témoin dans un affidavit rédigé par Louis-Hébert à Port-Royal45. Il est probable qu’il ait été amené par Jean de Biencourt, baron de Poutrincourt (père de Charles), le véritable fondateur de l’Acadie sur le Jonas, parti de Dieppe, en Normandie, le 25 février 1610.

43White, Stephen, 1999 – Dictionnaire généalogique des familles acadiennes, Moncton, Centre d’études acadiennes, p. 1373.
44Léopold Lanctôt, 1994 – Familles acadiennes, Tome 1, p. 59.
45Léopold Lanctôt, 1994 – Familles acadiennes, Tome 1, p. 60.

 

6.2 Union avec Jeanne Babin

Après trois ans de veuvage, Michel, alors, âgé de 52 ans, obtient en secondes noces la main d’une jeune fille de quinze ans, Jeanne Babin, dont les père et mère étaient ses voisins46: Antoine Babin et Marie Mercier. Au cours de sa période de veuvage, ses enfants, René, Sieur de Beaupré et Catherine s’étaient mariés respectivement en 1679 et 1680 à Port-royal. Malgré son jeune âge (15 ans), Jeanne Babin débute sa vie conjugale avec une famille de 8 enfants dont les âges variaient de 0 à 21 ans, soient certains plus vieux que leur nouvelle mère notamment Pierre (21 ans) et Martin (18 ans).

De cette union47, naîtront à Port-Royal :

  1. Michel, Sieur de Lafond, vers 1683 et marié le 25 février 1707 à Agnès Bourgeois ;

  2. Alexandre dit Boutin, vers 1686 et marié le 26 décembre 1711 à Marie Levron.

Jeanne Babin était aussi issue des vieilles familles souches fondatrices de l’Acadie dont les Mercier dit Caudebec et les Gaudet. En effet, Jehan Gaudet son arrière-grand-père du coté maternel qui était le doyen de la colonie lors du recensement de 167148 serait aussi venu avec Charles de Biencourt, entre 1610 et 1614.

46http://www.umoncton.ca/etudeacadiennes/centre/white/richard.html
47White, Stephen, 1999 – Dictionnaire généalogique des familles acadiennes, Moncton, Centre d’études acadiennes, p. 1373.
48Léopold Lanctôt, 1994 – Familles acadiennes, tome 1, p. 258.

 

6.3 Son décès

Michel semble avoir quitté cette terre vers 1688 (année où la guerre éclate de nouveau entre la France et l’Angleterre), avant d’avoir ses 60 ans. Il laissant en mourrant sa jeune épouse, Jeanne Babin qui atteignait à peine ses vingt ans de même que sept (7) enfants non mariés : cinq (5) enfants de son premier mariage, dont ses fils Martin et Alexandre, âgés de 23 ans et 20 ans, et ses trois plus jeunes filles : Marie, Cécile et Marguerite, âgées respectivement de 14, 12 et 9 ans, ainsi que ses deux jeunes garçons du second lit, Michel, Sieur de Lafond et Alexandre dit Boutin, âgés de 4 et 2 ans.

Jeanne Babin, jeune veuve, se remaria vers 1689 avec Laurent Doucet, de même âge qu’elle de qui elle eut au moins onze (11) enfants.

Son apport à la colonisation de l’acadie

À l’exception de sa fille aînée, Catherine Richard, qui se maria à un français (Jean-François Broussard) débarqué en Acadie vers 1671, tous ses enfants se sont unis à des familles acadiennes de vieilles souches dont les Babin, Blanchard, Bourg, Bourgeois, Forest, Landry l’Aîné, Landry le Cadet, Le Blanc, et Levron dit Nantais, Petitpas, Terriot et Vincent,

Des six fils de Michel, quatre s’établirent à Port-Royal : René, Sieur de Beaupré, Alexandre l’aîné, Michel, Sieur de Lafond et Alexandre le jeune dit Boutin, tandis que Pierre fit souche à Grand-Pré (colonie fondée en 1675 par René Le Blanc) et Martin à Beaubassin (colonie fondée par Jacques Bourgeois en 1672, d’abord nommée Chignectou et ensuite Beaubassin, aujourd’hui Amherst, N.E.).

Des six filles de Michel, quatre s’établirent à Port-Royal : Catherine (marié à Jean Broussard), Marie-Anne (mariée à Germain Thériault), Madeleine (mariée à Charles Babin) et Cécile (mariée à Pierre Forest) tandis que Marie-Josephte (mariée à Michel Vincent) s’installa à Pigiguit et Marguerite (mariée à Jean Leblanc, fils de René Le Blanc, fondateur de Grand-Pré) s’installa à Grand-Pré.

Denis Richard
Brossard, le 25 décembre 1999

Revue et corrigée par :
Félix Richard, archiviste de l’Association des familles Richard inc.
Claude Richard, administrateur de l’Association des familles Richard inc.